Salut les copains,
vous ne savez pas que Guy Môquet hante mes nuits et mes jours depuis presque un mois. C'est devenu une torture permanente et peut-être que m'épancher un peu avec vous me fera du bien.
D'abord l'histoire. C'est ce qu'il y a de plus facile dans cet emberlificotage.
- Armando a écrit:
- De plus, son arrestation est l'oeuvre de la IIIe République, et n'a rien à voir avec l'occupation - je me trompe peut-être ?.
C'est le seul point qui me fait tiquer dans le très bon post d'Armand, qui montre le sérieux de ses collègues ou son excellent capacité à se documenter tout seul comme un grand ( ou les deux).
La Troisième République, ou plutôt ce qu'il en reste. A ce compte-là, De Gaulle s'est également opposé à la IIIèeme République. Cette dernière ne meurt officiellement que le 10 juillet 1940. Quant à Guy, il a été arrêté en octobre 1940. L'arrestation est une chose mais n'est pas centrale. Il a été jugé, mais ACQUITTE, notamment en raison de son âge. Cependant, lui et ses camarades ont été retenus comme "otages" (ce sont les propres mots de l'administration française de l'époque) dans un camp près de Nantes. LesAllemands exigent des représailles après des attentats commis contre des officiers (dont certains étaient l'oeuvre de communistes d'ailleurs, mais passons...). L'administration vichyste se frotte les mains car elle tient l'occassion de se débarasser d'une trentaine de leaders syndicaux ou personnalités politiques, qui pourrissaient la vie du patronat depuis 1936. "Plutôt Hitler que les communistes" et tant qu'à faire...pas de communistes du tout. L'occassion fait le larron et au revoir Guy Môquet.
Cela étant dit, Guy Môquet était sans aucun doute un garçon très courageux, avec des idées très nobles et très belles, et qui voyait en Staline un sauveur de l'humanité. Dur aujourd'hui de comprendre que si Guy Môquet avait pu dire deux mots de politique dans la lettre, ça aurait été un truc comme "Vive l'URSS et la dictature du prolétariat". Bref...
Le PCF a été très content de ressortir les 27 de Châteaubriant après la guerre, pour faire accroître à un engagement de la première heure. On doit pouvoir saisir la nuance aujourd'hui, entre un indéniable courage pour ses idées politiques et un acte de résistance au sens où on l'entendra plus tard.
Ca, c'est l'histoire, on le sait, on peut discuter des nuances, de sa vision personnelle de la chose, du sens qu'on donne au mot "résistance" ...
Ce que Nicolas Sarkozy a fait est à la fois incompréhensible, terriblement autoritaire et complétement désarmant.
Incompréhensible sur le fond : célébrer Guy Môquet n' absolument aucun sens pour Nicolas Sarkozy, si on considère les valeurs qu'il défendait et pour lesquelles il est mort : égalité, internationalisme, droits sociaux, révolution et j'en passe. Et si le souci avait été de célébrer la résistance, on pouvait trouver un résistant moins "polémique" sur lequel tresser des couronnes.
terriblement autoritaire sur la forme : décréter une commémoration sur une initiative personnelle, en ordonner l'exécution aux professeurs comme si nous devions prendre nos ordres du président lui-même et des lubies qui peuvent lui venir, la fixer en terme très précis le 22 "au matin" en même temps qu'un grand show commémorationnel présidentiel...cela ne se concoit que dans des dictatures!
Enfin, complètement désarmant car de toutes manières, nous aurons toujours tort/ Nous aurons tort de ne pas lire la lettre et de laisser les élèves subir le flot médiatique sans arme pour le comprendre, nous aurons tort de préparer nos élèves à ce déferlement car au final, Sarkozy nous aura imposé notre agenda, nous aurons tort de participer quand même à la commémoration car nous embrouillerons les élèves et enfin, nous aurons tort de refuser de lire la lettre et le justifiant auprès des parents, car cela montre que nous ne voulons rien faire de ce qu'on nous demande, même lorsque c'est pour célébrer un "héros" de notre "camp".
Bien joué Sarko, tout le monde est dans le bleu, on s'est tous planté dans cette histoire. Pouvoir décortiquer tout ça prendrait un temps infini, l'expliquer aux élèves également : à l'heure du tout tout de suite, impossible de faire quelque chose de satisfaisant.
Dans notre bahut, j'ai préparé une activité de réflexion pour les élèves à faire avant le 22 et nous avons distribuer un tract le 22 au matin expliquant pourquoi, on ne lirait pas la lettre de Guy Môquet. L'après-midi du 22, une fille de ma classe de seconde lève le doigt et demande "Est-ce que vous allez nous lire la lettre de Guy Môquet, Madame?"
Dur.
Ci dessous, l'activité préparée pour les élèves, avec des vrais bouts de lettre de Guy Môquet et de Bulletin officiel dedans :
Les usages de l’histoire : histoire et mémoire
I. les valeurs, l’histoire et l’émotion : 1) Voici la lettre de Guy Môquet adressée à sa famille. Soulignez les passages qui correspondent à des valeurs (ex : le courage)
2) Quels renseignements historiques la lettre nous apporte-t-elle ?
3) Quel effet produit cependant cette lettre sur le lecteur ?
=> En quoi réside principalement l’intérêt de cette lettre ?
Ma petite maman chérie,
mon tout petit frère adoré,
mon petit papa aimé,
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi.
Certes, j’aurai voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon coeur, c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean. J’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable je ne peux le faire hélas !
J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées, elles pourront servir à Serge, qui je l’escompte sera fier de les porter un jour.
A toi, petit Papa, si je t’ai fait, ainsi qu’à petite Maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée. Un dernier adieu à tous mes amis et à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme.
17 ans et demi ! Ma vie a été courte !
Je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous.
Je vais mourir avec Tintin, Michels.
Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine. Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi Maman, Serge, Papa, je vous embrasse de tout mon cœur d’enfant.
Courage !
Votre Guy qui vous aime.
II. l’histoire et la mémoire :
1) Voici un extrait du Bulletin officiel concernant la journée de commémoration du 22 octobre. Après l’avoir lue, soulignez en rouges les valeurs que cette journée doit transmettre aux lycéens.
2) Ces valeurs correspondent-elles à celles trouvées dans la lettre ?
3) D’après les instructions officielles, qui commémorera la mémoire de Guy Môquet ? Qui s’associera à cette commémoration ?Le 22 octobre 2007, le président de la République commémorera le souvenir de Guy Môquet, cet élève résistant du lycée Carnot arrêté à 16 ans en octobre 1940, puis fusillé le 22 octobre 1941 après avoir adressé, la veille de sa mort, une lettre poignante à sa mère. Cet épisode n’est malheureusement pas le seul moment tragique de cette période sombre, mais il fait partie des temps forts de l’histoire de notre pays et, à ce titre, mérite de servir d’exemple à la jeune génération.
La commémoration de la mort de Guy Môquet, de ses 26 compagnons d’infortune et de tous les autres fusillés est en effet l’occasion de rappeler aux élèves des lycées l’engagement des jeunes gens et jeunes filles de toutes régions et de tous milieux qui firent le choix de la résistance, souvent au prix de leur vie. Tous méritent que l’on se souvienne : ainsi Gilbert Dru, cet étudiant de lettres engagé très jeune dans le combat contre l’occupant nazi assassiné le 27 juillet 1944 par la Gestapo ; ou encore Jacques Baudry, Jean-Marie Arthus, Pierre Benoît, Pierre Grelot et Lucien Legros, élèves de première au lycée Buffon à Paris, qui furent fusillés par les Allemands le 8 février 1943 pour faits de résistance accomplis depuis l’âge de 15 ans.
Tous ces jeunes Français d’alors, passionnément attachés à la liberté au point de sacrifier leur propre vie pour défendre celle des autres, constituent un formidable exemple pour les jeunes d’aujourd’hui. Leur mémoire évoque les valeurs de liberté d’égalité et de fraternité qui font la force et la grandeur de notre pays et qui appellent le sens du devoir, le dévouement et le don de soi. Ce sont ces valeurs que le Chef de l’État a souhaité honorer le jour de son investiture, lors d’une cérémonie au Monument de la Cascade du Bois de Boulogne en évoquant le souvenir de Guy Môquet : “Soyez fiers de vos aînés qui vous ont tant donné ; aimez la France car c’est votre pays et que vous n’en avez pas d’autre”.
Ces valeurs de courage et d’engagement furent partagées par d’autres, à l’instar de ces jeunes allemands comme les fondateurs de la “Rose blanche”, Alexander Schmorell, Hans et Sophie Scholl décapités le jour même de leur condamnation pour avoir lutté contre le nazisme dans leur propre pays ou de tous ceux qui, un peu partout en Europe, surent faire passer leurs idéaux de liberté et de justice avant toute autre considération.
Individuelle ou collective, nationale et européenne, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est encore aujourd’hui une condition du vivre ensemble et c’est pourquoi le ministère de l’éducation nationale entend s’associer avec force à la commémoration du 22 octobre. C’est pourquoi je demande aux chefs d’établissements de mobiliser les équipes éducatives autour de ce souvenir et de ce qu’il signifie.
La commémoration au cours de la matinée du 22 octobre commencera par la lecture, en classe ou en grand groupe selon le choix des établissements, de la lettre de Guy Môquet. Cette lecture pourra être confiée à tous ceux qui, résistants ou déportés, peuvent aujourd’hui encore témoigner directement des sacrifices consentis. J’invite à cet effet les équipes éducatives à se rapprocher des fondations et associations de mémoire afin d’établir ce lien tangible entre les générations. Il sera également possible de solliciter toute personnalité dont l’engagement, le rayonnement ou la notoriété pourraient sensibiliser les élèves. […]
Le ministre de l’éducation nationale
Xavier DARCOS
4) Voici un texte qui replace la mort de Guy Môquet dans son contexte. D’après ce dernier, pour quelles idées Guy Môquet s’est-il battu ?Guy Môquet est le fils de Prosper Môquet, député communiste du 17ème arrondissement de Paris, élu au moment du Front Populaire, 1936. Il a douze ans.
En septembre 1939, l’Allemagne nazie envahit la Pologne, entraînant la France et le Royaume-Uni dans la guerre. Un pacte de non-agression ayant été passé en août 1939 entre l’Allemagne de Hitler et l’URSS de Staline, on considère tous les communistes français comme des traîtres, le PCF est déclaré illégal, les militants arrêtés. Le père de Guy Môquet est arrêté et emprisonné en Algérie dès octobre 1940.
Alors que la France perd la bataille militaire contre les Allemands en juin 1940, le maréchal Pétain, appelé à la tête de l’Etat, déclare l’armistice. Le 10 juillet 1940, la IIIème République est morte pour laisser place à l’Etat français, le régime de Vichy.
Guy Môquet ainsi que les militants communistes, distribuent des tracts qui appellent à la libération des prisonniers communistes et dénoncent une guerre « d’impérialistes ». Il est arrêté par la police française Gare de l’Est en octobre 1940, jugé en janvier 1941, acquitté mais maintenu en détention ! Au camp de Châteaubriant, dans la région nantaise, ses camarades est lui sont otages du régime. Suite aux assassinats d’officiers allemands et aux sabotages qui se multiplient, les autorités allemandes demandent que l’ont fusille des otages en représailles. Le ministère de l’Intérieur choisit 27 communistes parmi les 200 noms qu’on propose. Dont celui de Guy Môquet, exécuté le 22 octobre 1941. Le Parti Communiste ne s’est lancé dans la résistance armée qu’en juin 1941, après l’attaque de l’URSS par l’Allemagne.
5) Voici un texte d’un historien spécialiste de la France contemporaine. Comment le souvenir de Guy Môquet a-t-il été utilisé par le PCF après la guerre?
6) Quelles critiques formule l’historien à l’égard de l’utilisation, passée et actuelle, du souvenir de Guy Môquet ?
Après la guerre, de jeunes manifestants portent un portrait de Guy Môquet devenu symbole de la Résistance.
« Le PCF, sans revendiquer immédiatement la paternité des attentats, sut valoriser le sacrifice des 27. Châteaubriant représente un idéal-type de la mémoire communiste et de son utilisation stratégique : le Parti ne peut se tromper, il incite à se surpasser et œuvre pour des lendemains qui chantent, etc. Tous les suppliciés étaient, en effet communistes (alors qu’à Nantes ou a Bordeaux, l’occupant avait volontairement fusillé également des « gaullistes ») et presque tous demeurés fidèles à la « ligne ». Les communistes étaient donc les meilleurs des patriotes, et l’internement précoce de certains d’entre eux suggérait que la résistance datait du début de l’Occupation, ce qui gommait l’image déplorable des errements d’avant l’été 1941. […]
Mais il ne faudrait pas que cet usage, apparemment émouvant d’une lettre touchante mais singulièrement dépourvue de considérations politiques, notamment à cause de la censure allemande, empêche de préciser que si dans la Résistance n’ont pas milité seulement des femmes et des hommes « de gauche », si tous les hommes politiques de droite ne se sont pas retrouvés à Vichy, ce sont bien des hommes de la droite d’alors qui, par haine de la gauche, ont aidé l’occupant à établir la liste des 27 suppliciés. »
Jean- Pierre Azéma, historien, dans L’Histoire, n°323, septembre 2007
Le 16 mai 2007, jour de l’entrée en fonction de Nicolas Sarkozy en tant que Président de la République :
« Après les Champs-Elysées, Nicolas Sarkozy a changé de voiture, direction le Bois de Boulogne pour rendre hommage à 35 résistants exécutés par les Allemands juste avant la Libération. Un des moments les plus émouvants de la journée. Une lycéenne entame la lecture de la lettre de Guy Môquet, une jeune résistant âgé de 17 ans fusillé en 1941. Très ému, Nicolas Sarkozy essuie ses larmes et surprend encore... » Source : M6
Débat Est-ce la même chose de faire de l’histoire et de commémorer ? Pourquoi ?